Travail en cours /
Work in progress présenté à Yamaguchi
/ japon
Photo: Rumin Tanabe
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Travail en cours Work in
progress "
Image et réalisation de la vidéo : Daniel Denise
Chorégraphie et interprétation : Paul André Fortier
Montage : Laetitia Giroux
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Travail en Cours / Work in progress "
Lorsqu’on s’interroge sur la nature et la spécificité de la danse, sur les
conditions d’une définition de cet art – ce qui fait que des œuvres sont
susceptibles d’être de la danse ou non – des cas problématiques surgissent
inévitablement. Certains spectacles supposés être des œuvres de danse ne
comportent parfois aucune des caractéristiques apparemment essentielles à cet
art, auxquelles on l’associe couramment. Dans la courte histoire de la danse,
les task dances (que l’on pourrait traduire par danses-tâches, ou
danses-travaux) américaines des années soixante en sont le premier exemple
frappant. Dans un spectacle " post-moderne" d’Yvonne Rainer intitulé Room
Service (1963), les mouvements sont ceux de personnes effectuant certaines
tâches pratiques ou quotidiennes de façon parfaitement ordinaire : porter un
matelas, entrer par une porte, sortir par une autre, disposer des objets çà et
là, les déplacer, monter à une échelle, etc. Ces actions seules, dépourvues de
tout geste dansé, sont présentées à un public dans un contexte artistique, donc
destinées à faire l’objet d’une expérience esthétique. Ce sont pourtant des
actions ne satisfaisant aucune des conditions habituellement tenues comme
nécessaires ou suffisantes à la danse : elles sont constituées de mouvements non
représentationnels, ne nécessitent aucune technique chorégraphique, ne
correspondent à aucune tradition de danse, et elles ne visent manifestement pas
à procurer des émotions chez le spectateur au moyen de qualités rythmiques et
expressives.
Sans en être très éloigné, Travail en cours, Work in progress suit en
quelque sorte la démarche inverse : dans ce film, D. Denise (réalisateur) et P.
A. Fortier (chorégraphe et interprète) importent des mouvements dansés dans un
contexte non artistique, social, professionnel. La caméra enregistre des soli
effectués par le danseur dans des endroits tels qu’une imprimerie, un
restaurant, une mairie, une caserne de pompiers, un supermarché, une marbrerie,
un parking souterrain, une maison de retraite, un atelier de fabrication de
costumes pour le ballet, etc. La présence et les gestes des personnes effectuant
leurs tâches professionnelles quotidiennes sans prêter attention ni à la caméra,
ni au danseur confèrent au film un aspect quasi-documentaire, dont le réalisme
est sans doute renforcé par la sobriété visuelle et la discrétion de la
réalisation : à quelques exceptions près, les séquences sont filmées en plans
fixes et séparées par un fondu au noir.
Force est alors de noter l’étrangeté de scènes à la fois parfaitement ordinaires
et transformées par l’intervention inattendue d’un danseur que nul – sinon le
spectateur – ne semble remarquer. Deux types d’action de nature très différente
se déroulent alors simultanément dans ces endroits où elles sont mises en
relation, et se prêtent à une subtile comparaison :
• Les actions pratiques et ordinaires d’une
part, dépourvues d’intention et d’expression artistiques, exécutées en vue d’une
fin extérieure à l’action (elles correspondent en cela au terme aristotélicien
de poiésis) : par exemple, cueillir des radis afin d’en faire des bottes,
découper et repasser du tissu en vue de confectionner des costumes, poncer des
pelles d’aviron, couper des aliments, mettre des couvercles sur des boîtes,
faire ses courses, trier des déchets, ranger des livres, enfiler une blouse et
des gants de chirurgie, etc.
• D’autre part, les actions dansées,
effectuées pour elles-mêmes, et non pas en vue de produire un résultat extérieur
ou indépendant (praxis), avec pour seule intention d’exprimer quelque chose sur
un mode esthétique : marcher avec les genoux fléchis, effectuer des cercles de
bras dans plusieurs directions, tourner sur soi-même, s’allonger au sol, sauter,
laisser tomber sa tête en avant, la saisir avec les mains pour la redresser,
répéter ce geste, s’appuyer sur le sol avec les mains et les pieds, varier la
qualité de gestes tantôt lents, fluides, tantôt saccadés, rapides, etc.
L’un des intérêts évidents de ce film est de confronter ces deux types distincts
d’action, de manifester leur différence de nature. Un autre intérêt, qui est un
effet de cette confrontation, est de montrer que l’absence d’intention
d’expression dans les gestes des personnes au travail ne les prive nullement
d’expressivité. Bien au contraire. De la même manière que l’on peut dire du
visage, de la posture, ou encore de la démarche d’une personne n’ayant pourtant
l’intention d’exprimer ni émotion, ni idée ou sentiment qu’ils sont expressifs,
il est possible dans ces images de distinguer entre d’une part l’expression de
la personne qui danse et d’autre part l’expressivité des personnes qui ne
dansent pas. Au moyen de la confrontation entre un danseur et des personnes au
travail, le film relie et met en évidence le champ d’application de ces deux
notions distinctes : par contraste avec les gestes non dansés, l’expression
dansée met l’accent sur sa nature proprement esthétique, mais révèle également
l’expressivité des gens, celle de leurs gestes ordinaires et professionnels,
leur application, leur précision, leur caractère souvent répétitif, leur
changement de qualité (on pense à la course des pompiers et à son contraste avec
l’immobilité du gardien de parking ou la douceur du cueilleur de radis par
exemple). En observant des gestes, ce sont des personnes que nous percevons, des
mains, des visages, des regards concentrés ou rêveurs, des voix.
De manière plus globale encore, ce que le film " révèle" est l’atmosphère ou
l’âme propre à chaque lieu traversé par le danseur. L’effectuation de mouvements
de nature esthétique transforme notre perception ordinaire de ces lieux en une
expérience esthétique. Bien sûr, la façon dont le danseur occupe l’espace, la
qualité de ses gestes, leur signification, tout cela n’est pas sans rapport avec
les lieux investis. Dès lors, les éléments de son environnement auxquels il est
attentif et qui inspirent ses gestes deviennent plus prégnants pour la
perception du spectateur. Le bruit du fonctionnement des machines, ordinairement
gratuit et non significatif, est alors investi d’une intention de créer une
ambiance sonore et rythmique ; les lieux se métamorphosent en décors où actions
et déplacements peuvent être perçus comme chorégraphiés.
Il est remarquable que cela n’enlève rien à l’authenticité de chacun de ces
lieux qui, reliés par les images de D. Denise, les pas de P. A. Fortier et le
montage de Laetitia Giroux, manifestent leur âme et composent, avec douceur et
sobriété, le portrait d’une ville et de ses habitants au labeur.
A partir des années cinquante, et durant environ deux décennies, la tendance
artistique (américaine d’abord) était de produire des œuvres supposées combler
le fossé conceptuel entre l’art et la vie. Room Service, en présentant
des mouvements exclusivement non dansés dans un contexte artistique, en est une
illustration parmi beaucoup d’autres. Aujourd’hui, si l’art et la vie demeurent
deux domaines distincts, Travail en cours, Work in progress semble
manifester une volonté de nous rendre sensibles à la poésie du quotidien, avec
le mérite toutefois de préserver la spécificité du mouvement dansé : les gestes
de la vie quotidienne ne sont pas artistiques, mais dans certaines conditions
ils peuvent être perçus comme tels. D. Denise et P. A. Fortier ne prétendent pas
effacer la frontière entre l’art et la vie, ils se contentent de l’estomper,
avec respect et légèreté.
Julia Beauquel
Remerciements:
A Ginelle Chagnon et à tous ceux et celles qui ont accepté de nous recevoir dans
le cadre de leur vie professionnelle.
Daniel Denise
Présentation de la vidéo
La version présentée à Montréal / Yamaguchi n’est qu’un montage ne proposant
que 9 séquences sur les 30 réalisées à Nancy entre le 6 avril et le 7 mai 2006.
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60 x 1 " Place des Arts / Montréal, Canada, Exposition regroupant les vidéos
autour de la performance de Paul André Fortier, à
Newcastle, Nancy, Yamagushi, Ottawa et Montréal.
" Solo 30X30 "
Exposition de Rumi Tanabe " A man on the bridge " à Yamaguchi (Japon) au
Yamaguchi Center for Arts and Media (YCAM) regroupant les vidéos autour de
la performance de Paul André Fortier dont la
vidéo " Travail en Cours / Work in progress "
Les 9 séquences de la vidéo
Par ordre d’apparition à l’écran : marbrerie Cochinaire / atelier du centre
nautique / atelier costumes du ballet de Nancy /caserne des pompiers / maison de
retraite " notre maison " / Maurice Lallemand, maraîcher, / enseignes
Charpentier / Yannick Boul, artisan menuisier-ébéniste / Maurice Lallemand bis /
imprimerie Bialec, / et en bonus : pompiers bis éternua.
Un clic à gauche puis à droite de votre souris sur
la vidéo pour afficher le menu !
Première séquence de la vidéo ( marbrerie Cochinaire )
Projet 2007
La totalité sera présenté le 6 octobre 2007 au centre culturel André Malraux /
Scène nationale de Vandoeuvre.
Conjointement à cette vidéo, une série de portraits photographiques des membres
du personnel des entreprises visitées, posant dans leurs tenues ou uniformes de
travail seront exposés.